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Fruits d'hiver

  • Photo du rédacteur: Szydywar-Callies Mathilde
    Szydywar-Callies Mathilde
  • 21 févr.
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 10 mars


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J’ai retrouvé mon petit frère au musée Jaquemart André à Paris, un dimanche de janvier, le ciel était limpide et froid. Nous avons découvert cet ancien hôtel particulier qui se distingue par un jardin en terrasse sur rue et une cour pavée à l’arrière. Nous avons partagé ses écouteurs pour écouter la voix nous raconter l’histoire de ce lieu. J’étais curieuse sans être animée d’un élan singulier, mon intérêt se situait plutôt dans l’attrait qu’il exprimait lui, pour cette fastueuse demeure du XIXe siècle. Après le salon des peintures, les appartements privés, la salle de musique, avant de gravir l’escalier à double révolution pour accéder à l’étage, mon cœur s’est allumé au moment où nous sommes entrés dans le jardin d’hiver. Le site du musée précise que “cet espace est caractéristique de l’art de recevoir sous le règne de Napoléon III. Venue de Grande-Bretagne, cette innovation connaît un grand succès. Elle consiste à déposer sous le couvert d’une verrière des plantes en pots le plus souvent exotiques”. Et je réalise que le soulagement de trouver une telle pièce au milieu des dorures et du marbre n’est pas une émotion isolée, mais plutôt un besoin séculaire qui a valu la création de ces jardins d'hiver. Le site en donne cette explication “ cet espace végétal permet aux invités de venir se reposer un instant dans un cadre plus rafraîchissant que les étouffants salons voisins.


Le jardin donne sur le fumoir et je note que mon petit frère y reste un moment, à détailler la notice qui présente chacun des objets présents. Et il me dit “ j’aime vraiment les arts décoratifs chinois”. On observe les vases bleu et blanc sur la cheminée, ces objets ramenés de voyages au long court qu’il était coutume de rassembler dans cette pièce dédiée aux “discussions de l’après-repas”. Et l’espace d’un instant, j’imagine l’épaisseur sensorielle contenue dans ce lieu : les braises du feu, la fumée ombrageuse des cigares et leurs goûts boisés, le violacé des eaux-de-vie aux notes de miel et d’épices, cette densité aromatique dans laquelle étaient pris ces hommes immobiles, et pourtant dans leurs rêves et leurs paroles, des horizons lointains. 


Mes pensées sont encore dans ce lieu capiteux lorsque nous entrons à l’étage dans l’exposition "chefs d'oeuvre de la collection Borghèse". La foule m’empêche de prendre plaisir à regarder les œuvres. Nous nous retrouvons devant la célèbre toile du Caravage “Garçon avec un panier de fruits” tête d’affiche de l’exposition ou peinture d’appel qui contraste fortement avec les autres toiles. Je ne sais pas si c’est le fait de visiter l’exposition avec mon petit frère, mais le tableau me parait étrangement contemporain et proche de nous, un selfie fruité. Il y a dans la corbeille en osier des pommes, des pêches, des figues, une grenade et des raisins, mais aussi des feuilles de vignes, de poirier et de citronniers. Le raisin luit et les feuilles sont tachées, flétries. Dans les natures mortes et les vanités, les fruits ont souvent le rôle d’évoquer le temps qui passe, le caractère fugace ou vain de toutes choses. Mais je ne trouve pas que ce soit ce qui se dégage du tableau, au contraire, le corps du jeune homme et les fruits ont la même force, ils sont à égalité, peints tous deux comme l’expression d’une foi en la beauté. 


Le soir quand nous rentrons dans son petit appartement du quartier des Olympiades, après avoir monté les paliers et sentis à chaque étage de la cage d’escalier une farandole de saveurs évoquant toutes les provinces de Chine, je lui dépose sur sa table, les oranges du jardin que je lui ai rapporté de Toulon. Celles dont le galbe et la texture lumineuse, ce soir d’hiver dans la capitale, évoquent tout à coup un monde lointain. 












 
 
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